Tontine entre époux : Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Lors de sa séance du 6 mai 2021, le Comité de l’abus de droit fiscal a estimé qu’un pacte tontinier dénué d’aléa déguisait une libéralité et, eu égard à son caractère fictif, jugé que l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit.
Deux époux, mariés sous le régime de la séparation de bien, avaient, en mai 2013, fait l’acquisition d’un bien immobilier ; la vente était assortie d’une clause d’accroissement, ou tontine, qui stipulait que « chacun des acquéreurs [serait] donc propriétaire du bien acquis sous condition résolutoire de son prédécès et sous condition suspensive de sa survie ». L’acquisition était financée à hauteur des deux tiers du prix par un emprunt bancaire.
Monsieur décédait moins de deux mois plus tard, laissant donc Madame seule propriétaire du bien. Et, comme il avait revendu des biens immobiliers propres peu de temps avant sa disparition, l’emprunt bancaire avait été remboursé par anticipation, par prélèvement sur le compte joint des époux.
Pour remettre en cause le traitement fiscal de l’acquisition, l’administration fiscale relève que Monsieur était atteint d’une longue maladie (sa qualité d’ancien médecin laissant présumer qu’il ne pouvait en ignorer le terme). Dès lors, faute d’existence d’un aléa vital (condition de validité d’un pacte tontinier, voir par exemple CA Rennes, 1e chambre, 3 septembre 2019 n° 17/06678), la cour considère que la tontine constituait une opération artificielle destinée à déguiser une donation entre vifs, dont le montant aurait dû être imposé au tarif prévu à l’article 777 du Code général des impôts.
Analyse confirmée par le Comité de l’abus de droit fiscal, qui relève que le remboursement de l’emprunt par remploi des biens propres de Monsieur avait considérablement réduit l’actif de la succession. Que l’état de santé de Monsieur était fortement dégradé à la date de l’acquisition de sorte que son prédécès était probable et ne constituait pas un évènement aléatoire, quand bien même sa date était encore inconnue. Qu’ainsi la clause d’accroissement était dépourvue de tout aléa économique. Que ce dépouillement volontaire et irrévocable caractérisait donc une intention libérale au sens de l’article 894 du Code civil.
Il en conclut que l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit et, Madame étant la principale bénéficiaire des actes abusifs, à appliquer la pénalité de 80%.
Sort cruel que celui de cette veuve, qui se voit imposée sur une donation entre vifs consentie par son défunt mari, alors qu’un legs au profit du conjoint survivant aurait été exonéré en application de l’article 796-0 bis du Code général des impôts…